Rêves de meuh meuh

J’aimais bien donner des noms aux animaux que je croisais sur la route. Les vaches avaient des noms en “ette”… Ginettes, Trempette, Lafellmette… et les chèvres des noms de “ine”… Mesquine, Ptitefouine, Margarine… Puis lors de la visite d’un ami, nous avons décidé que les chiens étaient des empereurs et consuls romains réincarnés. Il y eut donc Caïus Sleepus, Augustus Grattepuces… et à force de rire, j’ai fini par prendre une vache en photo et à lui faire une petite place sur les réseaux sociaux. Il y a mille raisons et messages philosophiques possibles, mais le plus important pour moi reste le plaisir que je prends à chercher la bonne photo, à trouver un nom au bovin inconnu puis à lui inventer un rêve.

Cornemuse et Bagatelle

Cornemuse et bagatelle
Jusqu’au lever du soleil
On chantera des ritournelles
En dessinant des arcs-en-ciel

Je ne vois vraiment pas pourquoi
Tu ne veux pas mon petit soldat
Te joindre à nous pour cette nuit
Elle laisser au lit ton ennui

On ira marcher dans les bois
Ça te fera du bien tu verras
On croisera sûrement des sorcières
Tu pourras troquer tes misères

Tu n’as pas besoin de sommeil
Ni de cachets de salsepareille
Le monde a besoin de lutins
Pour retrouver un peu d’entrain

Et quand viendra demain matin
Tu n’auras plus rien d’un larbin
Tu chanteras l’ode à la vie
Et dérideras tous ces zombies

Heurt d’hiver

Le chien mugit dans le jardin

Le vent aboie dans sa niche

Et moi je reste tout coi

Un pied dans l’hiver

Une main sur ma montre

Les habitudes ont changé l’heure

C’est comme ça

Une heure de gagnée ce matin

Six mois de lever dans le noir

Et de retour à la lampe torche

Les oiseaux malins ont pris la tangente

Les moineaux restent à grignoter nos miettes

Et ma boule de cristal

Au chaud de mon imaginaire

Voit un grand oiseau de fer

M’envolant loin d’ici

Hacker la vie

Hacker la vie.
Prendre les ruisseaux pour des venelles.
Plier en chapeaux pirates les journaux du jour.
Eriger les voitures en statues.
Regarder les salades pousser.
Redessiner les cartes des villes, jeu de marelle entre les bétons.
Réinventer des raisons de se lever.
Lits de réveils. Réveil de l’âme.
Et chaque matin, dans le miroir d’une tasse de café, se réinventer.

Quand Podemos prend l’Espagne

Personne ne savait comment cela avait commencé. Il devait pourtant bien y avoir une première fois. Ou pas. Les bonnes idées naissent peut-être comme les univers, par curiosité. Il y en avait bien sûr pour prétendre se souvenir d’un Big Band qui avait joué là. D’une anomalie euphorisante dans la bière locale ou d’un soir ou, simplement, il pleuvait tant de cordes qu’un enthousiaste avait décidé d’occuper le temps en racontant les nouvelles du jour à ses compagnons détrempés. Un jour où il pleut des vaches qui pissent, aurait dit le petit Jeremy. Toujours est-il qu’au Colibri, chaque soir ou presque, un quidam montait sur scène et racontait une histoire. Une anecdote. Son extrait de vie à lui. Son extrait du monde. On appelait ces gens des raconteurs. Des conteurs de la vraie vie. Ils avaient droit à un verre du patron et a l’attention légère des clients. Le phénomène avait peu à peu pris de l’ampleur, amplifié par l’ennui entropique de l’univers médiatique, le ras-le-bol généralisé, l’envie d’écouter des histoires sans entendre des âneries et le besoin, profond, de pouvoir enfin sourire en entendant parler de l’état du monde.

On venait de loin pour parler ou écouter. Certains raconteurs semblaient sortis tout droit d’univers parallèles. D’autres de sortir du lit. Et la majorité, de l’avis de la patronne, était du genre humain.

Ce soir-là, une femme monta sur le podium. Elle devait avoir une petite trentaine. Ses cheveux, en chignon strict, devaient avoir été dessinés plutôt que peignés. Et sa façon d’attendre, sans bruit, que l’on remarque sa présence mit chacun mal à l’aise de ne l’avoir pas vue plus tôt. Une sorte de mélange entre une danseuse de tango et une statue de marbre. Avec une touche de rouge à lèvres. Et une robe. Une longue robe noire aux franges dentellées.

Elle ne parla pas avant d’avoir pu déceler, dans le fond, le bruissement des bûches dans l’âtre. Cela fut rapide. Pas besoin d’attendre le centième singe. Les clients s’arrêtèrent presque instantanément de parler. Dans ce bar et tous ceux du quartier. La laissant seule au milieu de son silence. Jolie comme un matin d’avril.

Ses yeux brillaient avec cet éclat de ceux qui pleurent assez, rient souvent et prennent plaisir à faire l’amour.

Elle s’adressa à la trentaine de personnes attablées là en parlant d’une voix douce et  commençant, selon le rituel consacré, par ces mots : “Je vous apporte des nouvelles des Belles Terres.“. Avant d’attendre un instant puis de reprendre :

– Je reviens de Madrid à l’instant. Je n’ose même pas y croire moi-même. Mais il fallait que je vienne ici pour le dire. Cela ne pouvait pas attendre. Il fallait que les mots sortent. Là bas, dans les bars, dans toutes les conversations de rue, partout, tout a changé. L’Espagne d’hier n’est plus là aujourd’hui. Le pays s’est réveillé en sursaut. Ils ont changé de réalité. C’est incroyable à voir. De le partager avec les gens, partout, tout le temps. On ne parle plus que de cela. De ce qu’on va faire maintenant. On se demande comment rendre demain enfin digne d’être vécu. Mais moi j’avais besoin de revenir ici pour le mettre en mots. Pour entendre mes propres cordes vocales le dire. Pour me sentir faire partie de cela. Pour le rendre vrai. Car depuis que j’ai atterri, depuis que je cours pour vous apporter la nouvelle, elle me semble de moins en moins réelle. Parcourir les rues de Ville m’a plongé immédiatement dans une sorte de glue. Comme si tout redevenait vain. Comme si leur réalité était un rêve lointain. Marcher dans les rues m’a donné envie de passer à autre chose. De rentrer me coucher. Je sentais tout cela s’éloigner, mètre après mètre. Je sentais le somnifère agir. Alors j’ai couru. Je suis venue, en me raccrochant en chemin aux mots que je voulais vous dire. Et maintenant c’est le moment. C’est simple, court, cela tient en une phrase: Les Podemos ont gagné leur pari. Ils ont pris l’Espagne. Là, cet après-midi. Ils sont devenus l’Espagne. Ils ont gagné. Pour de vrai.

Un murmure parcourut l’assistante. Pas comme un ange qui passe. Plutôt le bruit de son atterrissage. Elle continua dans le même souffle.

– Et ils ont déjà pris leurs décisions. Ils ont agi. Des gens réunis par un rêve il y a moins d’un an. Vous vous rendez compte ? Nés comme un miracle du coeur. Et voilà, ils l’ont fait. Ils ont renié toute dette publique. En une minute. A peine élus. Sans discussion ni débat. Juste comme ça. Et ce n’est pas tout. Au moment où je partais, des centaines de personnes étaient mises en examen. Des banquiers, des chefs d’entreprise, des politiques. Tous ceux qui ne pensaient qu’à leurs propres intérêts. Tous ceux qui détruisent notre habitat. Tous ceux qui nous mentaient. Tous en prison. En quelques heures. Sous des inculpations impensables hier encore. C’est un vrai raz de marée. Les Podemos avaient tout préparé. Ils avaient des dossiers sur tout le monde. Des plaintes déposées à la pelle. Et la Grèce a fait de même, exactement au même moment. Deux pays en même temps. Même nos médias devront en parler. Ils ne pourront pas le taire comme pour l’Islande. Le phénomène est devenu trop grand. L’Islande. Puis la Grèce. Puis l’Espagne. Il ne restera bientôt plus que nous pour croire à la politique, au plein emploi, à la croissance et à la sécurité. Alors il fallait que je vienne. Voilà. Il fallait que je vous le dise. Maintenant c’est fait. Merci. Notre monde a fini sa chrysalide. Il s’ouvre, devient adulte. Nous sommes vraiment les 99%. Et nous avons réussi. Enfin ils ont. A nous maintenant.

Et puis ce fut tout. La poitrine de la jeune femme se soulevait comme après un marathon. Elle rayonnait. Heureuse. Parfaitement à sa place.

La patronne lui amena une flûte de champagne. Honneur ultime. Un champagne naturel. Un de ceux qui n’existent que dans les contes de fées. Un de ceux dont les bulles racontent des histoires en remontant le long de la coupette.

Toute l’assistance leva son verre. Et la soirée suivit son cours. Vraie. Comme tous les soirs dans les Belles Terres.

13 Juin 2014, Sao Polo, Brésil

Des Nouvelles des Belles Terres

Je vous apporte des nouvelles des Belles Terres.
Asseyez-vous. Réjouissez-vous. Venez donc autour de moi pour entendre mon histoire. Ecoutez-la, entendez-la, elle est le colibri qui chante par ma voix. Hier n’est pas ce que l’on croit et demain n’est pas encore là.
Moi c’est d’aujourd’hui dont je souhaite vous parler. Et c’est au Brésil que je vais vous emmener. Venez venez, suivez-moi, partons à Sao Polo d’un claquement de doigts.

Maintenant ne faites plus de bruit, je vous en prie. Asseyons-nous en rond sur l’herbe verte et profitons du spectacle. Nous sommes sur une pelouse. Oui, LA pelouse. Celle qui verra le premier coup de pied dans le premier ballon de cette coupe du monde de football 2014. Sentez le léger tremblement du sol. Il semble vibrer. Presque chanter. Les gradins semblent à mille pied de là. Ils sont pleins à raz-bord. La foule scande des slogans de circonstance. Tape du pied. Le match, le match, ils veulent leur match.

Laissons un instant le terrain à son impatience et rejoignons  les tribunes. Une frénésie discrète les secoue. Ca parle, ça téléphone, ça se conciliabule. Quelque chose cloche. L’arbitre gesticule dans un coin, face aux entraineurs des deux équipes. On ne trouve pas les joueurs. Comment ? Les brésiliens ? Non, pas un seul. Ils étaient là et puis, non, plus rien, personne. Les croates alors ? Non, pas de croates non plus.

L’annonce laisse comme un flottement. L’arbitre regarde les deux entraineurs. Les deux entraineurs regardent l’arbitre. Tous les trois regardent la foule. Et celle-ci, se sentant observée, ce tait soudain. Dans un silence inquiétant, soixante-huit mille paires d’yeux et des centaines de caméras fusillent le trio.

Il est des silences plus lourds que d’autres. Des silences inavouables. Celui-ci glissera un marque page dans les livres d’histoire. La tension monte. Le maître du jeu propose un numéro pyrotechnique. L’organisateur imagine une panne technique. Et pendant ce temps, entre les minutes qui passent, l’inéluctable se fraie un chemin.

Le destin marque un temps mort. Puis, rompant soudain la monotonie publicitaire, un garçon hilare envahit tous les écrans. Son image fait le tour du monde en un instant. Un milliard de regard fixent sur un seul enfant. Par-là, crie-t-il en portugais. Aqui, aqui. Et il se met à courir, dans un décor de favélas, sur un chemin de terre, suivi par une caméra déboussolée.

Au détour d’un abri de fortune, assis sur le sol, la foule découvre les joueurs brésiliens et croates. Certains d’entre eux jouent au ballon avec les voisins. D’autres discutent autour d’un verre. La scène donne immédiatement envie de se joindre à la fête. Faisons cela. Restons là.

A l’approche de la caméra, l’un d’eux se lève. Ses compagnons le rejoignent. Il prend l’enfant par l’épaule et dit, tout simplement:

– L’équipe du brésil ne jouera pas ce soir contre la Croatie dans votre stade.
Son homologue croate le rejoint et annonce sur le même ton:
– L’équipe de Croatie ne jouera pas ce soir contre le Brésil dans votre stade.
Un troisième s’approche et déclare, en anglais cette fois:
– Jouer à vos conditions, c’est jouer sur du sang et de l’avidité. Nous ne voulons pas participer à cela. Nous invitons donc toutes les équipes à venir nous rejoindre ici, sur ce terrain vague. Et maintenant, si vous le voulez bien, laissons parler le ballon.
Un sifflet retentit. Les équipes se mettent en place. Et commencent à jouer.

Quelques minutes seulement ont passé depuis cet événement. Et déjà le monde a changé. Je ne vous parlerai pas du lendemain matin, il n’a pas encore vu le jour.

Vous pouvez bien sûr rester regarder le match. Faites-vous une petite place sur le bord du terrain et profitez du spectacle.

Pour ma part je vous laisse à présentaux soins de cette histoire. Ecoutez-la, entendez-la, elle est le colibri qui chante par ma voix. Hier n’est pas ce que l’on croit et demain n’est pas encore là.

Couleur sourde

Je vous rapporte votre monde
et quelques langues de bois

Couleur sourde
Couleur terre

Vous me l’aviez déposé
le jour où je suis né

Couleur sourde
Couleur terre

Vous aviez du vous tromper
Il m’a fallu longtemps
Pour me rencontrer

Couleur sourde
Couleur terre

Presque le temps
De mourir à ma vie

Couleur sourde
Couleur terre

Mais depuis que je l’entends
Couleur sourde
Battre dans mes tempes
Couleur terre

Je sens son poul

Couleur sourde
Couleur terre

Et je peux enfin vous rendre
vos pourquoi et vos comment

Couleur sourde
Couleur terre

Pour aller rencontrer
hors de vos désirs goudronnés
hors de moi
tellemenr moi

Couleur sourde
Couleur terre

Les autres
amants de l’âme

Couleur claire
Couleur terre

Et partager avec eux
Les goûts du monde
nouveau