Remède

Lorsque le coeur se sert,
Que la raison se perd
Que l’Amour – humaine plaisanterie –
Se plaît à vous faire douter
De la beauté de la vie,
Faites ainsi que je fais ; pleurez
Puis, les yeux secs, allez au bar.
Vous ne rencontrerez pas un nouvel amour,
Pas plus que vous n’oublierez l’ancien,
Mais vous apprendrez à connaître
Vos contemporains.

Ca m’est arrivé comme ça

J’ai imaginé l’amour
Ca m’est venu comme ça
Pas une image. Loin de là.
Pas un corps, pas un regard
L’amour
Ca m’est arrivé comme ça
Dans un souffle
J’ai imaginé une magie
Un frisson. Une inconscience
Un instant vide de choix
Une évidence
J’ai fermé les yeux
Coupé l’image
J’ai écouté mon corps
Ce sang qui coulait
Dans mes veines, ce cœur qui
Battait, battait, battait
Rythme
J’ai imaginé, et j’ai entendu cette voix
Cette voix de femme
De femme qui chantait
Qui chantait pour moi
Qui se chantait
Le même refrain
Toujours le même
Encore
Je l’ai imaginé et il a vibré
Vibré dans mes veines
Dans mon cœur
Vibration
L’amour est une vibration
Pas un mot, pas un geste
Une vibration
Sensation
Qu’à trop vouloir chercher on fait taire
Pour n’entendre plus alors
Que le battement de son cœur

Légende à comptoir

Souvent à des amis j’ai conseillé – vieille légende – d’emmener celle qu’ils aiment sur un bateau ; s’ils se supportent dans les rigueurs et les plaisirs de l’océan, ils ont bien des chances de pouvoir vivre ensemble.

Aujourd’hui j’ajouterais ceci ; avant la voile, emmenez-la au cirque. Si elle rit, si elle pleure, si en rentrant elle veut un enfant ; achetez un bateau.

Edredon

Ton regard est cet édredon où je repose mes rêves,
où je les laisse reprendre des forces le temps d’un clin d’oeil.
J’ai hésité un instant, je me souviens.
J’ai voulu traquer mes rêves pour un baiser.
Tout mon être pour tes lèvres.
Ma vie contre une ivresse.
Puis tes yeux se sont fermés.
Tu as gardé mes rêves.
Je les ai oubliés.
Tu étais là, en face de moi, et moi, je pensais à toi.
Tu m’as pris mes rêves puis tu as souri.
Tu as souri et tu es partie.
Partie comme on revient, partie comme je t’imagine ouvrir les yeux au matin.
J’ai allumé une cigarette et j’ai fermé les yeux.
Tu étais toujours là, de l’autre côté de mon regard, de l’autre côté de moi,
tu étais toujours là et j’ai vu, dans cet autre moi nos rêves faire l’amour sur l’édredon de nos tendresses.

L’enfant

L’enfant ferme les yeux.
L’enfant ouvre les yeux.
Il rit. Ferme les yeux. Ouvre.
Encore. Encore une fois. Dix fois.
Ferme. Elle est là, elle danse dans les airs.
Ouvre. Elle n’est plus là.
Ferme. A nouveau là, elle danse dans les airs.
Ouvre. Elle n’est plus là.
Ferme. A nouveau là. Ouvre. Plus là.
A chaque clignement des yeux, la trapéziste apparaît.
Alors l’enfant cligne, cligne.
Et plus il cligne et plus il rit
Et plus il rit plus la trapéziste danse
Et plus elle danse et plus il cligne
Il cligne tant que ses yeux se mettent à pleurer
Que ses larmes se mêlent au jeu
Que la trapéziste se fait multitude
Une multitude de rêves qui dansent pour lui seul
Dans l’oasis de ses yeux.
La magie du cirque est dans les yeux des enfants.
Nous sommes des enfants du cirque.

Nous construirons…

Nous construirons des châteaux d’indulgence
Des palais de compréhension
Des mausolées de beauté
Et… un musée

Un gigantesque musée aux murs de briques rouges,
au parquet bruyant, dont les baies vitrées seront
à elles seules raison de visite,
car l’œil qui s’y posera
ne verra jamais deux fois
le même paysage.

Dans ce musée sera exposée la vie

Lorsque j’écris

Un enfant m’a rassuré ce soir.
Il courrait dans le restaurant, renversait les chaises, essayait d’ouvrir la porte, se cachait sous les tables, basculait les serveurs.
Soudain il s’est arrêté devant le plateau des desserts.
Il a regardé longuement, puis s’est tourné dans ma direction.
Je vis ses yeux. Je lui souris. Il me répondit.
Je pense que j’ai ces yeux lorsque j’écris.

Nicolas

Il est souvent difficile, au cœur des villes, de trouver un endroit propice à la lecture. C’est du moins ce que pensait Nicolas ce dimanche là, au moment de choisir un lieu où promener son labeur. Par une si belle journée, les parcs étaient à exclure, avec leurs ribambelles de bambins facétieux aux trousses desquelles courent des mères épuisées, leurs troquets bondés et leurs badauds qui s’éparpillent parmi les pissenlits. Les rues quant à elles devenaient par ces jours de canicule des couloirs brûlants que ne parcouraient que de rares taxis et autres voitures de police, attirés les uns par le mirage d’un hypothétique client, les autres par une routine oublieuse des sursauts barométriques. Il pourrait rester chez lui bien sûr, sous les palles hésitantes de son ventilateur, un citron pressé dans une main et son livre dans l’autre. Bien sûr. Mais l’idée même de presser un agrume le faisait transpirer.
A défaut d’une solution immédiate, Nicolas se lança à pas perdus vers le monde extérieur, dans l’espoir de trouver fraîcheur et quiétude au détour d’une indécision plus persuasive que les autres. Ses pieds le menèrent naturellement vers la première terrasse, tapie à l’abri du saule pleureur qui prêtait son nom à sa propre rue. Il avait fait dix pas. Les habitudes sont paresseuses et les hésitations y trouvent souvent leur compte. Sous l’arbre six tables de bois, douze fauteuils de rotin, deux jeunes filles, deux jeunes hommes, une vieille dame, un chien. Nicolas prit place. Reconnaissant le nouvel arrivant la serveuse sourit avant de disparaître. Un instant passe. Un instant lent. Un instant de canicule. Une poignée de ces minutes que les sabliers rechignent à libérer, que les mathématiciens s’obstinent à quantifier, au lieu, comme il se doit, de faire la sieste. Nicolas ferma les yeux. Devant lui dansèrent les fées rouges qui tapissent les paupières de danses enivrantes, ces formes géométriques qu’il s’efforça de suivre alors même qu’elles n’existaient déjà plus, ces lignes sans extrémités, ces cercles silhouettes, souvenirs solaires en négatif dans le laboratoire oculaire. Au fond de ses poches devraient se trouver ses lunettes de soleil. Il devrait les utiliser, avant le point critique où les yeux, même ouverts, se fendillent de taches solaires.
– Café et cigarette pour Monsieur. Café verre d’eau bien sûr. Grand verre d’eau.
Merci Noémie, s’entendit-il répondre. Merci beaucoup.
Les yeux toujours clos, Nicolas tâtonna, trouva la tasse, identifia le minuscule pot de crème, le paquet de cigarette. Il versa la crème, alluma une cigarette, porta la tasse à ses lèvres, laissa l’odeur chaude du breuvage trouver son chemin jusqu’à ses narines, la douce vapeur brûler ses paupières, embuer ses lunettes jusqu’à lui cacher les jambes de Noémie qui se croisaient et se décroisaient sur une chaise non loin de lui. Il ouvrit les yeux, déchira le cellophane, lut distraitement l’avertissement légal, sortit une cigarette, l’alluma. Il sourit. Il a bien fait de ne pas aller au parc, de ne pas marcher dans la rue, de ne pas rester chez lui. Il n’y a qu’ici que l’on trouve un si bon café. Ici. Au bas de chez soi. Là où les yeux fermés vous écoutez le temps passer, Noémie marcher, ses talons claquant sur les dalles, son plateau tintant contre ses bracelets à chacun de ses pas, son sourire ingénu marchant jusqu’à vous, jusqu’au tintement de la tasse sur la table. C’est cela le millésime du café. Une teneur d’un sucre qu’on ne mesure pas. Que l’on goûte au sens.
Nicolas ouvrit enfin son livre. Page 237, au moment ou l’intrigue se dénouait pour mieux attacher le lecteur. Nicolas le nota, c’est son métier. Nicolas est un comité de lecture. Pas un lecteur. Un comité à lui tout seul, qu’il consulte et conteste au gré de ses humeurs, tranchant avec parcimonie ses coups de coeur ou de raison. Son carnet de notes lui servait de signet. Rectangle de papier à la couverture de cuir, petit carnet noir se remplissant au rythme de son plaisir. Si le carnet tardait à se noircir, l’écrivain titulaire se voyait répondre les formules de politesse usuelles, ces mises à pied du manuscrit finissant inexorablement par des salutations distinguées.
Alors qu’il abordait la page 300, soit cinq minutes plus tard, le temps de trouver le dénouement de l’intrigue du manuscrit irréalisable, la canicule se donna des airs de mousson.
Le thermomètre battit en retraite, le baromètre eut une chute de tension et les rayons de soleils se fendirent en trombes d’eau.
De sa table, Nicolas pouvait observer tout cela d’un œil serein ; l’arbre le protégeait.
Les autres par contre, les clients malchanceux et les passant, couraient en tous sens en quête d’un abri. Noémie, déjà trempée, aidait de son mieux les clients à rejoindre les tables protégées. Qu’elle était belle, Noémie, avec sa mine déconfite, ses paroles empressées et rassurantes, ses manières de grande dame au milieu de cette foule humide qu’affolaient les sautes du temps. Qu’elle était belle. Nicolas ne pouvait l’entendre mais aurait juré qu’elle prenait sur elle cette pluie intempestive.
Soudain, sorti de nulle part, un homme se tenait devant lui.
– Aimez-vous les surprises, Nicolas ? Appréciez-vous les tours de passe-passe ? Ne laissant pas place à une réplique, il s’assit en face de Nicolas, prit le manche de son parapluie entre ses mains, le rallongea de plus d’un mètre puis l’installa à la place réservée au parasol.
– Noémie, deux cafés clama-t-il encore, avant de regarder enfin Nicolas sous ses épais verres fumés.
Celui-ci, ébahi d’être si brusquement sorti de ses rêveries, ne savait comment réagir à cette intrusion. Un intrus et un changement de saison en moins de cinq minutes étaient deux imprévisibles de trop pour lui qui, passant le plus clair de son temps dans les livres, s’était habitué à pouvoir arrêter la marche des événements d’un tourner de page.
— Que lisez-vous ?
– Que faites-vous à ma table ?
– Un livre ennuyeux apparemment.
– Que faites-vous à ma table ?
— Ah, voilà le café. Ne dites rien avant de tremper vos lèvres dans le café. Jamais. C’est beaucoup trop dangereux, s’exclama-t-il en plongeant deux doigts dans sa tasse comme pour y récupérer un cheveu importun. Il accompagna son geste d’une œillade complice, puis, après quelques instants, sortit, lentement, un petit serpent vert gesticulant et sifflant son indignation d’être ainsi tiré du néant. Il fit cela comme ça, comme si tous les cafés abritaient des serpents. Nicolas le regarda à son tour, terrifié.
– Ne vous inquiétez pas. Ce n’est qu’un petit serpent de rien le tranquillisa l’inconnu. Encore heureux que nous n’ayons pas commandé deux grands verres d’eau…
Nicolas détestait les serpents. Ou du moins le supposait-il. En voir un, ici, en bas de chez lui, dans son café, le lui confirma.
– Laissons cela continua l’inconnu, désinvolte, jetant l’ophidien par dessus son épaule.
Essayant de garder sa contenance, Nicolas :
– Etes-vous magicien, prestidigitateur ou quelque chose comme ça XXX ?
– Du tout, Nicolas. Que lisez-vous ?
– Que faites-vous à ma table ?
– Répondez je vous prie.
– Ce n’est rien. Un manuscrit parmi tant d’autres. Un tas de mots étalé sur des feuilles qui auraient aussi bien fait de rester blanches.
– Vous n’aimez pas ce livre ?
— Ce n’en est pas un, ce n’en sera jamais un. Il manque de piquant, il perd le lecteur, il… mais pourquoi je vous raconte ça… ?
– Parce que je vous l’ai demandé Nicolas. Et je ne crois pas que vous n’aimez pas ce livre. Je crois que vous ne savez pas lire.
Nicolas ne releva pas. Seul un léger frémissement de sa paupière gauche trahissait son énervement. La prochaine fois que lui prendrait l’idée fantasque de sortir de chez lui, de s’extirper de son fauteuil pour visiter le monde extérieur, il se ferait porter pâle. En face de lui, l’homme attendait. Serein. Avec sa barbe blanche, ses rides tout en sourire, ses longs cheveux emmêlés et sa chemise en lin il avait tout de ces vieux sages que l’on rencontre dans les livres de deuxième zone.
– Que faites-vous à ma table ?
– Je bois un café Nicolas. Je bois un café avec vous. Ca devrait vous plaire. Votre seule distraction dans ce café se situe sous la chemise de Noémie. A part regarder ses seins danser et lire vos manuscrits d’un air blasé, vous ne faites jamais rien, et en plus, vous le faites seul. Savez-vous qui est Noémie ?
– Evidemment. C’est la serveuse. La fille du patron.
– Et ?
– C’est celle qui me sert mes cafés.
– Je vais vous aider. C’est un être humain.
Voilà, ça devait arriver pensa Nicolas. Le vieux magicien anonyme lui faisait le coup de la leçon de philosophie. Pathétique. Rassemblant ses affaires, Nicolas se prépara à partir, sans autre forme d’au revoir que la plus parfaite indifférence, quand l’inconnu continuait :
– Et tous les être humains ont des secrets.
Intrigué, Nicolas se calma, alluma une cigarette et l’invita à poursuivre.
– Et… elle connaît le votre conclut-il.
– Et à votre avis, quel est mon secret ? répondit Nicolas, moqueur.
– Ne me prenez pas de haut jeune homme. Il pourrait vous en coûter.
– Vous aller me transformer en salsifis ? dit Nicolas sur le même ton.
– Non point jeune homme. Vous mettre une bonne fessée par contre ne serait pas un luxe. Je ne vous baigne pas dans les lieux communs. Je n’essaie pas de vous assommer de philosophie de comptoir. Etes-vous si blasé que vous n’êtes plus capable de vous émerveiller d’un vieux fou qui vous amène de la pluie et des serpents jusque sous votre nez. Je vous parle pourtant de quelque chose de passionnant. Je vous dit qu’une femme connaît votre secret. Que vous faut-il de plus. Je vous dit qu’elle a un secret. Et ça ne vous intéresse pas. Ne me faites pas croire ça. Allons. Un peu de cran. Sinon vous gâcherez le reste de vos jours, assis sur cette terrasse à lire vos propres textes en les faisant passer pour ceux de quelqu’un d’autre. Réveillez-vous. Jetez ce carnet noir. Et puis… Reprenez votre manuscrit à la page 237. Ce passage que vous avez sauté pour manque de probabilité. Cette fin de l’histoire que vous avez écrite. Là où l’héroïne apparaît au balcon. Où elle commence à chanter. Où la pluie s’arrête. Où les gens se figent. Où la foule l’écoute. Où elle regarde le narrateur, assis à sa table de café. Où d’une voix improbable elle met en notes cette déclaration qu’il vient d’écrire. Allons. Relisez-vous. Jouez.
D’un geste autoritaire, l’inconnu lui tendit le manuscrit, ouvert à la page 237.
Ne sachant que répondre, Nicolas reprit sa lecture là où il n’aurait jamais dû la laisser. Tandis qu’il relisait ses mots, la pluie cessa, le soleil se rappela à son devoir et l’inconnu se leva, récupéra son parapluie et s’en alla.
Une voix doucement se mêla à l’air du temps. Une voix de femme. La voix de Noémie.

Aveu

L’amour est un mystère
L’amitié un aveu
Par sa nature, le mystère est un aveu.
Peut-on avouer un mystère?

Vos existences

Lundi, je t’ai vue,
Mardi n’a pas existé.
Mercredi, je me suis souvenu.
Jeudi, j’en ai pleuré.
Vendredi, j’ai espéré.
Samedi tu n’as pas appelé.
Dimanche, j’ai renié Dieu.
Tu m’as enfin parlé, j’ai pardonné à Dieu.
Je t’ai revue, je l’ai remercié.
Tu as encore disparu
Et j’ai douté
De vos existences

Miroir

Je me vois dans un petit miroir,
un miroir sans toi
Il y a, pêle-mêle,
des lunes et du miel,
des arcs-en-ciel
tendus entre deux veillées
où des cupidons désarmés
embrasent la mariée
Il y a des heures
passées à te voir découper le temps en confettis,
à le jeter au feu comme on applaudit,
à te réchauffer au chaud d’un nom dit
Il y a ces non, ces oui
ces chaleurs, bonheurs,
ces écrits que nos coeur,
ces cris que nos corps
dévoilent dans nos folies
Je me vois dans ce petit miroir
et ne peux m’empêcher de sourire,
de sourire de ton souvenir
qui est le dû de l’avenir
Souvenir de l’avenir
Se souvenir des erreurs
pas encore commises
Se souvenir
avant que le futur ne soit passé,
dans ce présent
que le miroir ne renvoie pas.

Oubli d’enfance

Je vois tant de gens sérieux
Tant de gens tristes
Tant de gens qui ont oubliés
D’être des enfants
Qui, dites-le moi, les a persuadés que la vie est chose sérieuse ?
Pas la vie elle-même. Non. Elle est trop joueuse.
A moins peut-être, qu’il n’aient pas voulu jouer avec elle.
Car alors, avec qui peuvent-ils jouer ?

Dans le miroir

Regarde dans le miroir
Que vois-tu ?
Toi ? Peut-être
En es-tu sûr ?
Regarde la scène
Qu’y vois-tu ?
L’imagination ? Peut-être
En es-tu sûr ?

Sens, contre toi, l’autre qui dort
Que ressens-tu ?
L’amour ? Peut-être
En es-tu sûr ?

Artiste ou spectateur ?

Elle courait dans la neige

Elle courrait dans la neige. Simplement. Elle courrait dans la neige, et soudain j’ai compris pourquoi la montagne est si belle. Elle est si belle parce que des jeunes femmes aiment encore courir dans la neige, longtemps, en grandes enjambées dans les champs inexplorés. Par une nuit d’hiver, par une douce pluie de flocons, la montagne devient une lune où la jeune femme peut faire ses premiers pas, où elle devient un Amstrong en tailleur redessinant au loisir de ses pas la géographie des champs.
Prenez le lieu où vous êtes, celui où vous allez, et tracez entre les deux le plus long chemin possible. Coupez à travers champs, sautez les rivières, descendez, en courant, les chemins sinueux, perdez-vous, regardez en arrière, vous venez d’écrire un poème. Pas irréguliers, légers ou profonds, en ligne droite ou en crabe, longues glissades sur les pentes glacées, autant de rimes impensables aux pieds espiègles, autant de raison de continuer à se perdre pour se retrouver. Regardez le ciel. Vous ne voyez rien. C’est normal, vous avez des flocons plein les yeux. Ce soleil de nuit vous éblouit plus sûrement que le plus tropical des soleils. Il fait danser dans votre regard les lueurs nocturnes, vous fait découvrir au travers de ce cristal éphémère une nuit kaléidoscope où l’immensité des blancs se découvre en prisme. Regardez les arbres, là, et là, il y en a partout, camouflés sous des petits murs blancs bâtis par un ciel farceur sur chacune de leurs branches. Attendez la jeune fille, souriez-lui, sous l’arbre, puis jetez vous sur la plus basse des branches. Secouez-la. Vous venez de créer une pluie de neige. Elle vous sourira, puis, portant négligemment la main à ses cheveux se découvrira bonhomme de neige. Bataille de neige. Roulade. Vous voici deux masses blanches courant dans la neige, à la recherche du prochain champ vierge, de la prochaine lune à découvrir, écrivant sans le vouloir le prochain quatrain du poème de la vie.
Regardez devant vous. Le chalet est là, tout près, qui vous attend avec ces provisions de bûches n’attendant qu’une allumette pour crépiter de vous voir. Rentrez. Précipitez-vous sur votre vêtement le plus agréable, le plus doux, ou, mieux, précipitez-vous sur une couverture. Couvrez-la, couvrez-vous, puis lentement allez à l’âtre, jetez-y quelque bois, une allumette. Faites cuire de l’eau, faites du thé. Allongez-vous près, tout près, plus près, de la mordante chaleur. Jetez un œil, ravi, au dehors, l’averse blanche continue, recouvrant les dernières traces qui vous ont mené là. Effaçant le furtif instant. Mais bientôt quelqu’un d’autre courra là, gravant pour un instant sa propre prose.
Regardez l’âtre, regardez-la. La nuit est là qui vous attend, avec son cortège de souvenirs et de plaisirs. Bonne nuit