Attente au coin de la vie

Imaginez. Imaginez une nuit d’hiver. Dehors la neige se meurt sous l’eau assassine d’une pluie anachronique. Imaginez une nuit anachronique, Ou plutôt, imaginez une nuit où vous auriez mieux fait d’aller vous coucher. Imaginez, car vous êtes resté éveillé. Vous avez préféré la conscience du souvenir à l’absence du sommeil. Vous avez préféré attendre. Attendre. Vous êtes chez vous, au coin du feu, et vous attendez. Vous savez quoi bien sûr, vous l’attendez, elle. Et vous savez, bien sûr, qu’elle ne viendra pas. Vous attendez comme on meurt. La tête vide d’alcool, le coeur plein de désir. Dans votre tête se bousculent les mots que vous ne pourrez dire. Ils attendent, eux aussi, et comme vous ils seront déçus. Cette nuit la nuit elle même s’endormira insatisfaite. Celle que vous attendez, par contre… par contre… par contrat… par hasard… putain de vie. Non, vous ne pensez pas à ça. Dans votre corps vibre la passion, le partage. Ah, le partage. Ce partage qui nécessite deux personne. Cet étrange sentiment que toute votre vie vous essayerez d’offrir, comme on donne la vie, comme on se donne. Ce besoin si humain qu’il en devient étranger, légende. Un livre qu’on écrit à défaut de le vivre. Une histoire dont manque cruellement un personnage. Votre histoire. Votre vie. Votre amour. Vous attendrez. Perplexe. Vous penserez. Vous pleurerez, c’est naturel. Et qui plus est, vous serez heureux. Heureux car la nostalgie ne concerne que le futur, car vous nourrirez vos larmes d’un avenir improbable, mais jamais impossible. Heureux car il est toujours beau d’imaginer. Imaginer ce qui aurait pu. Imaginer ce qui sera peut-être. Puis vous pleurerez encore. Bien entendu. Il est dur d’imaginer une femme dans ses bras puis d’ouvrir les yeux lorsque les bras se referment sur le néant d’un désir. Mais ces larmes sont si douces. Elles sont des demi-vies, des demi-souvenirs, des parts d’absolu volées à la réalité. La réalité. Cette fiction que l’on crée au fil de nos passions, cette larme que l’on verse pour attiser le feu. Vous ouvrirez une bouteille de vin. Une bière, vous préférez une bière, du thé? Qu’importe pourvu qu’il y ait la caresse, le lent bonheur de se sentir absent lorsque l’autre n’est pas là. Il vaut mieux s’oublier plutôt que d’être seul. L’être humain court toujours après son double, sa seconde moitié, son complément d’amour direct, et alors qu’il le trouve, pleure de penser que celui-ci cherche encore. Chercher. Trouver. Si ce n’est réciproque à quoi bon? A quoi mal? Vivre un échec est une chose, vivre un non-dit en est une autre. Ne rien vivre est bien pire. Faux? Peut-être. On peut vivre sans ressentir paraît-il. Mais le sentiment est le septième sens, et il est tellement humain que c’est pour le vivre que l’on a créé les six autres. Voir. Sentir. Toucher. Entendre. Goûter. Pressentir. N’est-ce pas là la définition du sentiment. Allumez-vous une cigarette. Vous ne fumez pas. Tant pis. Ravivez le feu. Si vous n’avez ni cigarette, ni feu, ni même une bougie, ce n’est pas important, éteignez la lumière et imaginez-la qui s’approche de vous, alors que vous pleurez. Imaginez-la rester là, sans rien dire, sans même que vous sentiez sa présence, sans même que vous puissiez l’imaginer. Imaginez que vous ne pouvez imaginer. C’est de toute façon ce que vous êtes en train de faire. Vous êtes en train de vous persuader que ce que vous pensez ne vaut rien, si ce n’est pour les rides de votre coeur. Vous êtes en train de penser qu’il vaudrait mieux oublier tout ça dans d’autre brumes, que nous sommes des milliards… et vous savez que c’est faux. Vous fermez les yeux. Ils sont secs. C’est normal, à force de regarder le feu les yeux s’assèchent. Hélas le coeur ne suit pas. Il vous faudrait pour cela vous jeter dans l’âtre et vous préféreriez vous jeter dans l’être. Mais imaginez qu’elle est là, derrière vous. Imaginez qu’elle pose ses mains sur vos épaules. C’est elle. Et elle pose ses mains sur vos épaules. Elle pose ses mains sur vos épaules, approche sa tête et la pose à la naissance de votre nuque. Elle pleure et d’un doigt chasse vos larmes. Elle pleure et c’est votre chagrin qu’elle efface. Elle pleure de bonheur. Vous fermez les yeux. Sa tête devient un peu plus lourde sur votre épaule. Elle se laisse aller, ferme les yeux. Un miracle? Certainement. Si elle est vraiment là. Si tous deux vous avez les yeux fermés mais que vous savez être réunis, alors surtout ne les ouvrez pas. Laissez les fermés. Prenez, d’une main chaude, sa nuque, sentez la naissance de cette chevelure que vous avez si souvent imaginé caresser, puis laissez-la s’approcher, lentement, passer de l’autre côté du fauteuil, de l’autre côté de vous, du bon côté de vous. Laissez-la s’approcher et prenez-la dans vos bras. Remettez du bois dans l’âtre, car elle a froid. Prenez-la dans vous bras et arrêtez de penser. Aimez-la. Aimez-la comme on découvre, aimez-la comme on rêve, aimez-la comme on vit. Puis dormez. Rien n’est plus agréable que de se réveiller dans les bras de celle qu’on aime. Si par contre il n’y a que le froid de la pièce qui caresse vos épaules, alors la nuit sera longue, longue comme un soupir, longue comme la passion, longue comme l’attente. Pleurez. C’est bien naturel. On pleure toujours lorsque l’on a trouvé ce que l’on a pas cherché, lorsqu’on a vu dans les yeux d’une femme la raison de la vie, et lorsque le destin, farceur, vous rend amoureux de quelqu’un qui ne le sait pas, qui l’ignore, ou, bien pire, qui ne le partage pas. Pleurez donc, cela ne vous soulagera pas mais aura l’avantage de vous faire ressentir ce qui ne peut être écrit, décrit, ce qui hante depuis toujours les vers des poètes et les verres des incompris, ce sentiment base de la vie, l’amour. Et un jour, sur vos épaules, deux mains…

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