Jeu de filles

Nichée sous les toits, la pièce est vaste. Basse. Un futon au centre, une cheminée dans un coin. Rien d’autre. L’entrelacs des poutres suffit à l’intimité.
Assis sur le lit, j’attends. Dans la salle d’eau, l’eau coule. Les filles se préparent. Bien des quarts d’heures diplomatiques se sont écoulés depuis mon arrivée. Quelques braises finissent de mourir dans l’âtre. Savent-elles seulement que je suis là ? La porte était entrouverte. Ce ne pouvait être que pour moi.
Soudain l’eau s’arrête. Les canalisations se taisent. J’entends des rires. Que peuvent-elles bien se dire ? Je suis trop loin. Bribes. Chuchotements. Une porte s’ouvre. Je me retourne. Rien. La porte se referme. Nouvel éclat de rire. Face à la salle de bain, je les imagine. Frôlements. Chuchotements. Chorégraphie de la séduction. Tintement des flacons. Lait pour le corps. Crème pour le visage. Je regarde la porte, comme pour mieux entendre. C’est une ancienne porte de chêne à la serrure généreuse. Je peux voir la lumière à travers, entrecoupée, parfois, de leurs silhouettes.
Je m’allume une cigarette. Le temps fait une pause. Silence. Plus de rires.
Une voix s’échappe, claire et distincte:
– C’est toi ?
Entre deux bouffées, de la voix étranglée d’un voyeur aux yeux bandés pris sur le fait, je m’entends répondre:
– Oui.
La cadette bredouille un on en a pour cinq minutes, puis le manège reprend.
Instinctivement, je m’approche de la porte, chaque pas semblant marquer mon impatience sur le plancher grinçant. Sans vraiment y penser, je jette un coup d’œil furtif par le trou de la serrure.
L’aînée, debout au milieu de la pièce, ajuste les derniers détails de sa tenue. Tout autour d’elle, épars sur le sol, des sous-vêtements. Tous plus charmants les uns que les autres. Je me désole de ne la connaître mieux, afin de découvrir, par déduction ce qu’elle cache sous ses jupes.
La cadette, elle, est nue. Assise sur le rebord de la baignoire, elle s’applique une crème sur les jambes, suivant lentement le galbe délicieux.
Soudain, regardeur coupable, je me retire, laissant les demoiselles à leur intimité. Je fais trois fois le tour de la chambre, regarde par la fenêtre, descends à la cuisine, me sers un café, le bois, fume une cigarette et remonte. Toujours pas de filles. La porte reste close. Des rires fusent, intermittents.
J’essaie d’imaginer la cadette fouiner dans les lingeries de sa sœur. Choisir. Essayer. Renoncer. Changer. Recommencer. J’imagine. Longtemps. Repassant dans ma tête le catalogue exhaustif des sous-vêtements coquins. Mais rien n’y fait. Je retourne à la porte. Me mets à genoux. Fauteur oublieux.
L’aînée a pris la place de la cadette sur le rebord de la baignoire.
La cadette a pris la place de l’aînée au centre du monde. Elle s’observe dans la glace. La glace le lui rend bien.
Elle a opté pour une guêpière. Blanche. Elle peine à crocher ses jarretelles. L’autre rigole, lui fait et signe et retrousse sa robe. La cadette la regarde. Je fais de même. Elle porte le même attrape-œil.
A cet instant, récidiviste honteux, je me lève et lance un:
– Bon, les filles, je vous attends à la cuisine, avant de m’y rendre, du pas nerveux des coupables.
Une demi-heure plus tard, dans l’embrasure de la porte, deux beautés me regardent.
Deux jumelles à la beauté semblable, leurs charmes simplement enrobés d’un pantalon et d’un pull de laine.
– Eh bien! lançai-je d’une voix peu assurée. Il vous faut deux heures pour mettre un jeans…
– Non mon chou, répondit l’une. On peut être prêtes en dix minutes. Le reste du temps, on le passe à s’exhiber. Tu l’as bien vu.

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