Melya, c’est de la musique, du texte, un conteur, deux chanteuses, deux danseuses, un violoniste, un danseur, deux pianistes, deux jongleurs, deux danseuses de feu, un vidéaste…
Melya, c’est une rencontre sous les bons auspices du Théatre-Circule à Genève qui a prêté son chapiteau à nos rêves d’enfants.
Le soleil s’en va. C’est la fin d’un jour de plus.
D’un hier qui se décline en demains.
Il fait nuit
Presque noire
Tout juste un quartier
De lune pour éclairer
La foule pressée
Elle ne marche pas, la foule
Elle suit
Elle ne sait pas vraiment quoi
Mais elle le suit
Les yeux au sol
Au rythme des pavés
Des lignes trop blanches de la route
Elle regarde sa montre
Tic tac
Minutes qui passent
Minutes perdues
Minutes solitaires
Pas un poète pour les prendre par la main
Ces petites soeurs du temps
Les poètes dorment
D’un sommeil sans rêves
A moins qu’ils soient morts
Non
Certainement pas
Il y a tant d’enfants
Alors les minutes naissent et meurent
Comme les rêves des enfants-poètes
Et la foule marche
En regardant sans rien voir
Du monde qui se couche
Il y a bien un homme,
Assis sur un banc
Un vieil homme
Tout en blanc
Des cheveux à la canne
Lui ne voit plus le monde
Mais le monde le regarde
Le vieux ne voit pas la lune
Il la devine
Il n’a pas vu le soleil mourir
Il l’a senti
Alors le vieil homme l’écoute,
Le monde
Assis sur son banc
C’est qu’il parle le monde
De mille voix
De mille langues
Il parle
A moins que ce ne soit autre chose
Un rire peut-être
Et la foule passe
Inconsciente
Somnambule
Et la foule se sépare
Rentre chez elle
Ses cinq sens dans la poche
Roulés dans un programme télé
La foule n’est plus
Elle s’est brisée
Sur les murs des foyers
Eparpillées
Par paliers
Sous les mille lumières
Des hautes tours
Chacun derrière sa porte.
Et le monde dehors.
Homeless.
J’ai souvent observé les maisons.
Du dedans,
De dehors
Imaginé…
La façade comme un grand patchwork
Fenêtres illuminées
Fenêtres sombres
Ce jeune couple, au premier peut-être,
Parlant d’avoir un enfant
Tout en se promettant pour toujours
Des caresses pleines de fleurs
Leur voisine, à quelques lumières de là
Seule dans sa cuisine
Brodant en sifflotant
Des chaussons trop grands pour ses tout petits
Au dessus, fouinant dans sa garde robe trop sombre
La veuve noir qui se prépare à sortir
Et le petit du dessus, martelant le sol de sa chambre
En jouant à jouer.
Et celui-ci, qui vient de jeter sa veste sur le canapé
Avant de s’asseoir dessus, une mousse à la main
Du désir plein la tête, le cœur vide
Et elle, qui prépare pour deux ce qu’elle mangera seule.
Et eux, qui font l’inventaire de leur échec
Et leurs enfants, qui pleurent dans leur lit.
Et eux, qui s’oublient dans un verre de vin
Et eux, qui font l’amour à défaut de le vivre
Et eux qui ont repris deux fois des frites
Et eux qui fêtent leur rencontre
Et eux qui se retrouvent
Et eux qui se perdent
Et eux, qui ont oublié
Et eux qui se souviennent
Et eux qui rient
Et eux qui prient
Et eux qui dorment
Et eux qui veillent
Et tout en haut, ce vieux couple,
Regardant au dehors comme on attend le printemps
Et tous les autres.
Vivant tant de choses
Dans si peu d’espace
A moins que tous ces gens…
Ne regardent la télé
Assis sur son toit,
L’Enfant joue
Sous ses yeux,
La ville
Dans ses yeux,
Une larme
Pas de tristesse
Juste une larme
Un trop plein d’émotions
Il a vu la foule se coucher
Derrière le soleil
Il a vu les lumières
S’allumer et s’étreindre.
Il a tout vu
Et il n’a pas bougé
L’enfant a vingt ans
Vingt ans
A chanter
Qu’il ne sera jamais grand
Car être grand
C’est un truc de vieux
Dans ses mains,
Un morceau de plage
Enrobé de toile
Une balle de jongleur
Pour un enfant de la ville
Il la regarde
La pose à côté de ses sœurs
Les regarde
Leur sourit
Les reprend,
Toutes trois,
Dans ses bras
Les berce
Les cajole
Les embrasse
Ses amantes silencieuses
La première quitte sa main
Rejoint l’autre
La deuxième croise la première
Rejoint la dernière
Qui déjà s’en va
Et encore
Encore
Une valse à trois temps
Sans repos
Une valse légère…
Quitter
Croiser
Tomber
S’élancer S’envoler
Planer
Retomber
S’écraser
Et recommencer
Quitter
Croiser
Tomber
S’élancer
S’envoler Planer
Retomber
S’écraser
Et recommencer
Naître, vivre et mourir
Renaître…
Rencontrer, aimer, quitter
Retrouver…
Apprendre, utiliser, oublier
Et recommencer…Naître, vivre et mourir
Renaître…
Rencontrer, aimer, quitter
Retrouver…
Apprendre, utiliser, oublier
Et recommencer…
Une valse légère…
Quitter
Croiser
Tomber
S’élancer
S’envoler
Planer
Retomber
S’écraser
Et recommencer…
Naître, vivre et mourir
Renaître…
Rencontrer, aimer, quitter
Retrouver… Apprendre, utiliser, oublier
Et recommencer…
Une valse légère…
Quitter
Croiser
Tomber
S’élancer
S’envoler
Planer
Retomber
S’écraser
Et recommencer…
Naître, vivre et mourir
Renaître…
Rencontrer, aimer, quitter
Retrouver…
Apprendre, utiliser, oublier
Et recommencer…
La toute petite histoire de la vie
Résumée entre les mains d’un enfant
Jouant sous la voûte étoilée
Comme un dieu créant l’avenir
Avec les poussières du passé
L’enfant aimerait descendre de son toit
Par la voie des airs
Planer jusqu’au lac
Le survoler
Courser les canards
Gober des moustiques
Et pourquoi pas
Entre deux envolées
Devenir père d’un signe
L’enfant aimerait descendre de son toit
Mais il n’ose pas
Les humains ne volent pas
Lui a-t-on dit
Ou alors dans leur tête
S’ils sont fous ou poètes
Mais pas les gens biens
Les gens biens prennent l’escalier
Ils se tiennent droit
Et saluent leurs aînés
En leur tenant la porte
Mais l’enfant n’est pas un Gens Biens
C’est un enfant
Et lui voudrait voler
Par delà la foule
Par delà les étoiles
Par delà les autres
Pour rejoindre l’ailleurs
Celui où l’herbe est plus verte
Celui où le soleil se lève à midi
Et où les Gens Biens n’existent pas
Car il n’y a pas de portes dans ce monde là
Juste des fenêtres ouvertes
L’enfant voudrait voler
Alors il se lève Se penche au bord du toit
Ferme les yeux
Et saute…
Cet enfant est fou !
Fou !
Ou poète…
Son corps reste sur le toit
Les boules,
Dans ses mains
Dansent
Comme des morceaux d’océan
Dans les mains d’un marin
Dans le parc
Deux enfant
Les enfant ont trente ans
A eux deux ?
Ils se le demandent
Ils se regardent
Comme on fabrique des souvenirs
Autour d’eux
D’autres enfants
Et des plus jeunes
Et des plus envieux
Tous perdus dans un même silence de fin du jour
Personne ne bouge
De peur d’effrayer le voleur sans-logis
Tapi dans les premières ombres
Invisible à l’œil
Et pourtant si présent
Le temps
Celui qui se vole à lui-même
Mais que vole-t-il,
Le temps
A la nuit tombée
Au silence des parcs ?
Vole-t-il des rêves ?
Des graines d’innocence ?
Des soupirs d’amoureuse ?
Des jeux de séduction ?
Du bonheur ?
De la joie ?
Rien de tout cela.
Les amants n’ont d’innocent
Que le regard étonné
Qu’ils jettent à leurs parents
Les vêtements froissés
Et les sens humides
Tous les envieux savent cela
Et l’amoureuse se repaît
De joie et de bonheur
Comme le tigre de gazelle
Tous les plus jeunes savent cela
Et la joie
La joie…
Se décline
En feux
En grand feux…
Non.
Le temps n’est pas voleur
Il donne
Et reprend
Il joue
Le temps est un joueur qui n’a pas besoin de tricher
Il prête aux amants les lieux,
Communs ou insolites
Les terrains de jeux et les soupirs
Pour les reprendre au matin
Et n’en laisser qu’une image
Un flou
Une absence
Un souvenir
Ne laissant d’autre choix aux dupes
Que de se bâtir des cellules de mémoire
Laissant liberté aux autres
De recommencer
De jouer
Jour après jour
Au grand jeu
De jeter une nouvelle brindille
Dans le jeu
Le grand feu…
Où se consument les passades
Se trompent les amours
Et s’oublie l’innocence
Le grand feu de joie
Et les enfants le savent
Qui se regardent
Comme on fabrique des souvenirs
Et les autres le savent aussi, peut-être
Les plus jeunes
Les plus envieux
Ils le savent et ne bougent pas
De peur d’arrêter la machine à futur
De peur de se laisser piéger
Par la machine à revivre le passé
Alors les enfants se lèvent
Ils se lèvent et courent
Ils courent après le temps
En criant
Et les plus jeunes
Et les plus envieux
Les regardent sans comprendre
En haussant les sourcils
Se regardant les uns les autres
Pour dire leur accord
Sur ce désaccord
Mais les enfants sont déjà loin
Ils ont couru si vite
Que le temps ne les a pas vus
Occupé qu’il était,
Le temps
A prêter une oreille attentive
A ses courtisans immobiles
Les enfants jouent à chat
Ils se cachent
Ils se perdent
Pour mieux se rechercher
Ils jouent à chat avec la nuit
Passant d’une ombre à l’autre
En riant
Et ils s’échappent
se happent
s’embrassent
Et recommencent
Jusqu’à disparaître
Lui ne la cherche plus
Il sait qu’il l’a trouvée
Il attend
Sagement
Que sa lumière renaisse
Que son soleil se lève
Il attend
La tête vide
Le cœur au loin
Il attend
Pour l’apercevoir
Spectateur de son propre rêve
Elle n’est pas loin
Il la sent
Elle n’est pas loin
Il l’entend
Elle ri
A moins que ce ne soit la nuit
Alors il contemple l’attente
Il la caresse
L’embrasse
Lui dit des mots
Tissés de silence…
Elle est si belle l’attente
Lorsqu’on la partage
L’attente
Les enfants ont cent ans
A eux tous
Les parents sont assis sur le toit
En bas les enfants jouent
Ensemble
A regarder la télé
Le four micro-onde
Prépare à manger
Sous les yeux des parents
La ville
Dans leurs yeux
Les yeux de l’autre…
Ils entendent la foule
Au loin
Ils se tiennent la main
Sans y penser
Comme pour s’assurer
De la présence de l’autre
Ils essaient de se rappeler quelque chose
Quelque chose de diffus
D’impalpable
Quelque chose qu’ils se sont efforcés
De ne pas oublier
Une promesse
Faite par une nuit d’été
Ils se serrent la main comme on prie
N’osant rien dire
N’osant rien demander
Ils sont assis, là, sur le toit,
Attendant
Ils regardent le soleil se coucher
Sans même le voir
Ils ne voient pas non plus
Les reflets
Dans les eaux calmes du lac
Les êtres de nuages
Se transformant
Au gré des vents
Les tuiles de la vieille ville
S’empourprer à l’idée
Des infidélités de la nuit
La femme, sur son balcon
Apprêtant une table joyeuse
Pour le retour de son compagnon
Ils ne voient plus le monde
Qui vit sous leurs yeux
Il doit être trop grand
Ou trop lent
Pourtant
Ils l’ont aimé, le monde
Ils l’ont même tellement fêté
Qu’ils lui ont offert
De nouveaux spectateurs
Avant qu’eux ne deviennent
De simples figurants
Dans le grand jeu du temps
Eux qui ont arrêté de courir
Et qui cherchent
Perdus sur leur toit
Leur promesse d’autrefois
Eux qui
Loin d’offrir
Les enfants qu’ils étaient
A ceux qu’ils ont mis au monde
Les noient d’absence
Les perdent
Dans les reflets cathodiques
De la réalité
Eux qui ont oublié
Qu’aucun coucher de soleil
Ne se découpe
En grille de programme
Que la souffrance
Ne vit pas entre deux plages de pub
Qu’un instant
N’est pas que du temps
Qu’il n’est pas fait que d’images et de sons
Qu’un instant
Ne se décline pas
En deux dimensions
Que la mort pue
Que la tristesse se tait
Et que l’amour se touche
Eux qui ont oublié
Que la terre a mille visages
Et que seules les ombres
De ses ombres
Passent au vingt heures
Eu qui ont oublié…
A tant se tenir informé
Eux qui ont oublié…
Que savoir est accessoire
Que comprendre est illusoire
Et que le partage n’est pas un pêché
Mais eux qui pourtant
Assis sur leur toit
S’aiment comme on premier soir
Sans savoir pourquoi
Ils restent ainsi longtemps
A zapper leurs souvenirs
Ils restent si longtemps
Qu’à la fin
Dans le salon
Leurs enfants se sont endormis
Enivrés de trop d’images
Ne reste qu’eux
Assis sur la mire
De leurs souvenirs
Se tenant la main
Comme deux enfants
Comme deux parents
Comme deux amants
Se tenant la main
Comme on tient une promesse
De la nuit
Soudain
Renaît un matin
Un matin de minuit
Le temps les regarde
Perché sur une cheminée
Il les regarde en rigolant
Car il sait rire, le temps
Lorsqu’il se croit gagnant
Alors les parents se souviennent
Du maître des montres
Du joueur avide
Du voleur
De celui qui les a rattrapé
Et de celui qui va les perdre
Une fois encore
Car le temps ne peut rien
Contre ceux qui ne le regardent pas
Le temps n’a pas d’emprise
Car seuls les enfants…