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Samedi après-midi. Rue Principale. Des tas de gens font des tas de choses. Marchent. Déambulent. Flânent. S’embrassent. Se disputent. Se rencontrent. Se quittent. S’émerveillent. Se désespèrent. S’arrêtent. Continuent. Entrent dans des lieux dont d’autres ressortent. Valse des sacs de papier. Flamenco de la dépense.

Une vieille dame promène son chien. Un jeune homme promène sa fiancée. Une jeune fille particulièrement jolie fait courir sur elle les yeux des passants.
Sur les marches de l’Eglise de trop jeunes toxicomanes s’aveuglent de drogue.
Dans l’Eglise un trop vieux prêtre prie la Madone. Sur le clocher de l’Eglise un jeune corbeau fait sa toilette. Les passants ne voient pas l’Eglise.

Samedi après-midi. Rue Secondaire.
Natan marche. Lentement. Il a le temps. Son regard se promène de vitrines en décolletés, de librairies en galeries, de vendeurs de marrons en diseurs de poésie. L’automne est là. Les feuilles tombent. L’exode des marchands de glaces touche à sa fin. Parfois, au travers d’une vitrine, il en voit encore quelques-uns, attablés derrière un chocolat chaud, leurs valises amoncelées à l’entrée et leur billet d’avion dépassant de la poche de leur pardessus. S’il était venu trois semaines avant – seulement trois semaines – il les aurait tous vus. Ce n’est pas n’importe quoi, l’exode des marchands de glaces. C’est le début de l’hiver vu par l’homme. Même les oiseaux migrent plus tard. C’est bien normal. Pour rien au monde ils ne rateraient la danse des chariots à glace, leur rassemblement sur les bords du lac, puis la longue file marchant silencieusement vers les portes de la ville avant de s’évanouir vers le sud.

Samedi après-midi. Croisement de la Rue Principale et de la Rue Secondaire.
Natan s’arrête un instant. Devant lui le flot humain, canalisé dans cette seule rue par la magie de la publicité. Derrière lui la rue préférée de ceux qui n’ont pas la télé. Natan n’a pas la télé.
Natan hésite. Derrière lui, dans les cafés de la Rue Secondaire, des gens se parlent. Se racontent des histoires. S’échangent des idées. Devant lui, bien que beaucoup plus nombreux, les gens s’entraînent à s’ignorer. C’est le jeu favori des foules. Il n’a jamais vraiment compris quel pouvait en être le but, à supposer qu’il y en ait un. Natan hésite.
A quelques pas de lui, un banc. Inoccupé. Il s’en approche. S’y assied. Sur le dossier, une plaque de cuivre, carte d’identité pour mobilier immobile. “Banc du Croisement de la Rue Principale et de la Rue Secondaire”. De sa poche gauche il extrait une pipe, de la droite une tabatière. Il bourre sa pipe. Lentement. Comme quelqu’un qui hésiterait entre une rue et une autre. L’allume. Le tabac se consume paresseusement, en volutes.

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